b. Une personnalité hors du commun

etude

Père Marie-Antoine de Lavaur Capucin

Extraite de l’interview de Jacqueline Baylé,

parue dans le Bulletin de Littérature Ecclésiastique, 

de l’Institut Catholique de Toulouse

et réalisée par l’abbé Jean-François Galinier-Pallerola (avril-mai-juin 2012)

 

UNE PERSONNALITÉ HORS DU COMMUN
 

1. Portrait

Le P. Marie-Antoine était grand, le visage beau, un petit accent méridional, une santé à toute épreuve. Il parcourt à pied, en tous sens, de ville en village, les départements autour de Toulouse, dormant trois heures par nuit. Quand il voyage, il a toujours son sac en coutil noir, dont une « planchette multi-usages » constitue le fond : elle lui sert de bureau portatif en chemin de fer ou corrige le moelleux excessif des paillasses de presbytère[1]. Il est vêtu d’une robe de bure usagée, ceinturé d’une corde, le crucifix passé dans la corde, et sous le bras son vieux bréviaire couvert de notes et de citations. Il porte la barbe longue et fournie ; l’œil est vif, le sourire très doux. Une seule passion : Dieu et les âmes.

 

« Il vous fait pleurer, il vous fait rire. Il accueille (à Lourdes) les pèlerins avec tant de bonté, tant de délicatesse et tant de franchise qu’il est impossible de ne pas s’attacher à lui. On l’aime rien qu’en le voyant. Il surnaturalise tout, il explique tout, il divinise tout. Aucun incident ne lui échappe. Il prévient votre pensée, vos sentiments, il lit en quelque sorte dans votre cœur. Il vous encourage, il vous ramène, il fait de vous tout ce qu’il veut. On ne peut lui échapper ! Et puis, quelle aimable popularité, quelle douceur, quelle affabilité ! »[2]  C’est un grand affectif au cœur tendre, attentif, qui ne craint pas, dans sa correspondance, d’ouvrir son cœur, comme on sait si bien le faire en ce temps postromantique, à propos de sa famille, de Jésus, de Marie sa Mère du ciel, en fait de tout, les hommes, la création... Il demande toujours, avec insistance, qu’on prie pour lui, une demande qui n’est pas de pure forme ; il fait, de la prière, la première cause des miracles de la grâce sur les âmes[3]. Dans les presbytères qu’il habite, dans les paroisses et communautés qu’il a évangélise, il moissonne des affections innombrables, toutes fidèles[4]. Ses relations avec les autres ont, pour lui, un charme, une suavité exquise[5]. Son esprit est alerte ; la tendance à relever avec une indulgence amusée le côté comique d’une situation constitue une remarquable composante de sa personnalité[6]. Sa vie est toute de mortifications, mais sans affectation ; il semble les ignorer lui-même : « Que de fois ne vit-on pas ses pauvres pieds crevassés de gerçures, d’engelures, dont les plaies étaient saignantes. Pour les fermer, le Père prenait une aiguille enfilée de gros fil et en approchait les bords ![7] » Et pourtant, disait son excellent ami le chanoine Valentin, « il a tellement mérité le bonheur, qu’il l’a obtenu dès ce monde, qui n’a pas été pour lui une vallée de larmes. Il rayonnait d’une joie douce et constante »[8].

 

                                                               2. Ses débuts

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Le jeune vicaire de Saint-Gaudens (1850-1855), Léon Clergue, prêche en patois à la première messe, celle des paysans. On ne lui connaît pas de talent oratoire, au point qu’un paroissien l’interpelle quand l’abbé se sent appelé à sa nouvelle vocation : « Vous, Capucin ! Saurez-vous même prêcher ? - Je dirai au Bon Dieu : Voici votre fusil, si vous voulez qu’il parte, chargez-le. »[9] Quand, au lendemain de sa profession religieuse le 13 juin 1856, il doit prononcer son premier sermon devant ses supérieurs, dans la chapelle du couvent de Marseille bondée pour la fête de la Toussaint[10], un trou de mémoire et la divine Providence l’amènent à se lancer dans un sermon improvisé. Ce sera son premier succès et le commencement de 50 ans d’apostolat et de missions.

Une rue à Saint-Gaudens porte son nom

 

Ses missions, c'est d’abord à Marseille et ses environs, qu'il les inaugure. À Toulon, où la conversion spectaculaire d’un notable ruiné attire la société dans les églises des quartiers ouvriers où il est envoyé[11]. Puis, en juin 1857, à 31 ans, il est envoyé à Toulouse. On le connaît vite pour l’efficacité de ses sermons ; sa réputation s’étend aux banlieues qui ont sa préférence, puis à la région et bien au-delà. J’ai dénombré plus de 250 missions et en découvre sans cesse de nouvelles : missions de deux mois et plus, jusqu’aux triduums, retraites, prédications, dans les grandes villes, de Carême, de l’Avent, du Mois de Marie, de la Nativité de la Vierge, de la Toussaint. Son action déborde de la moitié sud de la France.

Les grandes missions régionales, avec une escouade de cinq, six religieux ou davantage, ont été inaugurées (1857-1864) pour préparer la fondation du couvent de Toulouse en construction, en pensant des essaimages futurs, sans parvenir à satisfaire toutes les demandes des évêques de nouvelles fondations. Dès 1858, le P. Marie-Antoine, seul ou accompagné d’un confrère, vole de ses propres ailes. Son biographe, le P. Ernest-Marie de Beaulieu, distingue des missions suaves (rurales, pays de montagne) et triomphales, jusque dans les années 1860, puis de plus en plus laborieuses.

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[1] Abbé Joseph Périlié, son neveu : Le Saint de Toulouse. Vie populaire du R.P. Marie-Antoine, missionnaire capucin, 1907 p. 207
[2] P. Marie-Antoine de Beaulieu, édition de 1928 p. 242.

[3] Lettres du P. Marie-Antoine à sa famille, 1913, rééditées aux Éditions du Pech, 2010 p. 91, 92, 231

[4] Abbé Joseph Périlié, idem p. 200

[5] P. Marie-Antoine de Beaulieu, édition de 1928 p. 426.

[6] Antonino Rossi : Santi e santita nell’Ordine cappuccino. Traduit en français en 1999 par Fr. René Métral de Charvonnes. Le Père Marie-Antoine de Lavaur : La Voix de Lourdes p. 398.

[7] P. Ernest-Marie de Beaulieu, édition de 1909, co-éditeurs toulousains : Les Voix Franciscaines et Édouard Privat, p. 205.

[8] P. Ernest-Marie de Beaulieu, édition 1928 p. 402.

[9] P. Ernest-Marie de Beaulieu, édition 1908, p. 69.

[10] Idem p. 75

[11] P. Ernest-Marie de Beaulieu, Éditeur les Voix Franciscaines, 1928, p. 68.


Catégorie : - Étude sur le Père Marie-Antoine
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