d. Le grand apôtre de Lourdes

etude

Père Marie-Antoine de Lavaur Capucin

Extraite de l’interview de Jacqueline Baylé,

parue dans le Bulletin de Littérature Ecclésiastique, 

de l’Institut Catholique de Toulouse

et réalisée par l’abbé Jean-François Galinier-Pallerola (avril-mai-juin 2012)

 

LE GRAND OUVRIER DE N.D. DE LOURDES
 

1. L’apôtre de Notre-Dame

 

C’est entre les deux dernières apparitions de la Sainte Vierge que le P. Marie-Antoine[1], début juillet, rend visite à Bernadette, à qui on interdit la Grotte et qu’on est tout prêt d’interner. Le missionnaire, qui achève une retraite prêchée à Saint-Gaudens, lui parle longuement, elle communie de ses mains, aucun doute ne l’effleure. Et, quand il pourra se rendre à la Grotte, « l’air est encore tout embaumé de la présence de Marie Immaculée », écrira-t-il.  Il parle de ces entretiens dans Le Lis Immaculé de Marie[2],  en 1874. Nos Plaies sociales et la mission de Bernadette[3] , en 1879, montrent l’importance du fait de Lourdes, du choix de Bernadette, du message marial, pour le monde de l’époque. Il écrit aussi, à ce moment-là, une Vie de Bernadette, qu’un copiste indélicat publie anonymement (avec de simples initiales, fantaisistes) à Marseille et qui connaîtra plusieurs rééditions. Le P. Marie-Antoine ne dévoilera jamais la supercherie de crainte de mêler sa petite Bernadette qui vient de mourir, à un fait divers[4].

 

Le 18 janvier 1862, l’évêque de Tarbes, Mgr Laurence, publie le Mandement reconnaissant les apparitions de Lourdes, autorisant le culte de la Grotte, et se proposant d’y construire un sanctuaire. Dès le mois d’avril qui suit, Le P. Marie-Antoine vient à Lourdes, profitant d’une mission qu’il prêche dans la vallée de la Neste : son premier pèlerinage à la Grotte, un pèlerinage solitaire dans la foule, ô combien fervent. Les pèlerinages sont et restent, encore durant plusieurs années, d’ordre privé, familial, en petits groupes, déjà bénis par de nombreux miracles. L’année suivante, 1863, le Capucin improvise la première procession aux flambeaux : « Il faut que ces cierges marchent, et chantent ! »

 

Le missionnaire a retenu que l’Immaculée a dit : « Je veux qu’on vienne en procession à la Grotte ». A partir de ses missions, il entraîne, organise les premiers grands pèlerinages, coopérant aux efforts de celui qui est devenu son ami, le curé doyen de Lourdes, l’abbé Peyramale. Cinq ans plus tard, en mai 1868, il inaugure les premiers grands pèlerinages régionaux, vingt paroisses de la région de Tarbes, et l’année suivante, le canton de Riscle, dans le Gers, huit cents pèlerins, bientôt suivis de quelque huit cent quatre-vingt Toulousains. Le 27 avril 1870, c’est la région de Montréjeau qui se met en branle, à pied, 70 kilomètres, et autant au retour pour deux mille hommes et femmes. En 1871, il devient le prédicateur attitré, pour le pèlerinage national, des Campagnes de l’Aude, en attendant de l’être pour les Montalbanais.

 

Les Assomptionnistes entrent en lice, organisant, du 5 au 8 octobre 1872, le premier pèlerinage national, dit des Bannières, qui va réunir 60.000 pèlerins . Le P. Marie-Antoine se fait leur pourvoyeur. Depuis que la ligne de chemin de fer arrive de Bordeaux via Toulouse et Tarbes jusqu’à Lourdes (1867) et ses trains spéciaux, tout est possible. Et c’est encore le P. Marie-Antoine qui dirige le premier pèlerinage d’hommes, trois mille, venus tous du Ruthénois, le 14 septembre 1874. Vingt-cinq ans avant que soient inaugurés les grands pèlerinages nationaux réservés aux hommes (1899).

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Durant trente-cinq ans sans interruption, sauf l’année fatidique de 1903, c’est-à-dire jusqu’à sa mort, Lourdes devient sa résidence habituelle, d’avril à octobre, avec des interruptions pour quelque mission ou quelque autre lieu de pèlerinage marial, Rocamadour, Livron, Quézac… Mais il revient toujours bien vite à son rendez-vous d’amour avec l’Immaculée, se faisant son « grand ouvrier », « celui qui aide la Sainte Vierge à faire ses miracles », le confesseur qui lit dans les âmes et ramène la paix dans les cœurs, le « brancardier des âmes », le prédicateur que les pèlerins réclament, l’initiateur des cérémonies populaires qui s’y déroulent encore : procession aux flambeaux, du Saint-Sacrement, des malades, prière nocturne... « Il goûte une si grande joie à se voir l’instrument des miséricordes de Marie, il y coule tant de larmes de repentir, il y est témoin de tant de conversions sincères, il y cueille une si abondante moisson d’âmes, qu’il ne voit pas le temps passé, se livre à des jeûnes prolongés, des nuits sans sommeil et vit dans une extrême pauvreté. Il ne s’appartient pas, il se donne aux âmes, il se donne surtout à Marie, « vivant à Lourdes dans une perpétuelle extase, comme on doit vivre au ciel ».

C’est à Lourdes, devenu ce carrefour de l’univers chrétien, que sa popularité passe les frontières. Et quand il ne parle pas, ne confesse pas, quand il ne fait pas prier, il écrit : toute une série d’ouvrages à grands tirages, outre les trois déjà cités.

 Le P. Marie-Antoine à Lourdes. Dessin extrait de l'Illustration

2. Le prédicateur de la Croix

 

Enfin, il se fait le grand aménageur de la montagne des Espélugues. Cela commence, en 1885, par la plantation de la Croix de Jérusalem pendant le pèlerinage national, rapportée lors du quatrième pèlerinage de pénitence : « Ô Croix, que tu es belle… » C’est, en 1886, l’érection du chemin de croix provisoire, à l’emplacement de celui que nous connaissons: plus de 600 hommes, pieds nus, chargeant sur leurs épaules la croix des quinze stations. C’est, en 1887, l’inauguration des deux grottes voisines aménagées en sanctuaires : le 20 Août celle dédiée à sainte Madeleine, sa statue étant offerte par les Marseillais en pèlerinage,  et le 6 octobre celle dédiée à Notre Dame des Douleurs: « Vous entendez le cri de Marie : Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! En bas, sur les bords du Gave, c’est la grotte des joies. Ici, c’est la grotte des douleurs ». C’est lui qui a eu l’idée d’aménager ces vastes grottes, et il en a fait son œuvre, arrivant à ses fins malgré tous les obstacles. Et c’est, en 1892, à l’entrée des grottes, l’érection de la croix de France, avec un beau Christ en bronze qui rejoindra la croix après avoir été exposé à la Grotte devant les foules, les statues de Marie et Saint Jean à ses pieds. Un ensemble qu’on pouvait découvrir avant la dernière station du chemin de croix, mais depuis peu caché par un épais rideau de verdure.

 

3. Il préside en 1904 au grand Jubilé de l’Immaculée-Conception

 

C’est tout naturellement à lui que le Comité de Rome confie la préparation du Grand Jubilé de l’Immaculée-Conception, fin 1904, moins de trois ans avant sa mort, avec les fonctions de Délégué Régional, dans lesquelles il retrouve toute sa verve et son élan. Son discours d’ouverture inscrit le grand cinquantenaire du dogme de l’Immaculée Conception dans le plan divin : temps de prière, de dévotion et de méditation pour aider les hommes à « franchir le pas du règne social de Jésus-Christ, qui est le règne de l’amour ».

Lorsque, le 13 août 1913, Pie X signe le décret d’introduction de la Cause de Bernadette, les Sœurs de la Charité de Nevers éditent une image de la voyante, avec au dos, une courte prière pour obtenir sa béatification.  Au bas de la prière, une signature, celle du P. Marie-Antoine. 

 

4. Le P. Marie-Antoine est-il allé à la Salette ?

 

Il n’existe pas, je pense, un lieu marial en France qui n’ait inspiré le missionnaire. Il amène, notamment, un groupe de Toulousains en pèlerinage à la Salette en 1888. Il s’y montre « profondément ému, à la vue de l’immense solitude du site désolé où Marie vint pleurer et donner à son peuple des avertissements graves. Pour célébrer dignement, s’écrie-t-il, le centenaire (que l’on préparait pour l’année suivante), il faudrait un pèlerinage de la France entière, faisant l’ascension de la sainte montagne, pour des cérémonies d’une réparation exceptionnelle. »[5]  Mais déjà, en 1878, après avoir dressé, malgré les interdits dont il vint à bout, la statue monumentale de l’Immaculée qui attendait dans une remise depuis dix ans, sur le clocher de l’église Saint-Louis à Sète, le P. Marie-Antoine, qui y « avait dès lors conquis droit de cité, y revint souvent pour prêcher des retraites qu’il nommait, en souvenir de la grande mission de 1869, de « petites missions de famille ». Et il accompagnait volontiers, au sanctuaire de la Salette, qui domine toute la ville du haut de la colline de Saint-Clair, les groupes fervents qu’y entraînait le curé Gaffino, et les édifiait de son ardente parole. »[6]


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[1] Tous les ouvrages sur le P. Marie-Antoine et une certain nombre écrits sur Lourdes, montrent le rôle du « Grand ouvrier de Notre-Dame de Lourdes » dans les débuts du pèlerinage mariale. Sans parler de ses propres œuvres ou de revues comme les Annales de Lourdes, Recherches sur Lourdes, Journal de Lourdes. Leurs références seraient fastidieuses et leur choix aléatoire.

[2] Il existe une réédition, en deux tomes, du Lis Immaculé aux Éditions du Pech : 1. À Lourdes, ce que j’ai vu et entendu (2008) -2. Merveilles et secrets de Notre-Dame de Lourdes (2009).

[3] Réédité aux Éditions du Pech en 2011 : Nos Plaies sociales et la Mission de Bernadette – le choix de Notre-Dame.

[4] Les Éditions du Pech, après avoir réuni les preuves indiscutables de cette tromperie, publieront cet ouvrage, pour la première fois sous le nom de son auteur, en 2013.

[5] P. Ernest-Marie de Beaulieu, édition 1928 p. 351, 1937 p. 130.

[6] Édition 1928, p. 210.


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