Rodez: la Croix de Mission du Père Marie-Antoine. 2. 1874: 4000 hommes en pèlerinage à Lourdes


RODEZ: LA CROIX DE MISSION DU P. MARIE-ANTOINE

 
2. LE PREMIER PÈLERINAGE D'HOMMES -4000- À LOURDES EN 1874 


d'après le P. Ernest-Marie de Beaulieu ("Le Saint de Toulouse" 1908) et le P. Irénée d'Aulon ("Histoire des Frères Mineurs Capucins de la Province de Toulouse, t. II")
 


Conduits par le P. Marie-Antoine, ils sont plus de quatre mille
du diocèse de Rodez, partis ensemble de la cathédrale Notre-Dame vers la gare en direction de Lourdes, un spectacle grandiose. 

Nous sommes en 1874 et le Père a préparé ce pèlerinage avec un grand soin, et beaucoup d’amour pour ces enfants que Marie lui confie, et qu’il mène jusqu’à la Grotte. « Là-bas, je leur parlerai, je leur crierai la puissance de Marie, et quand ils repartiront, ils lui  seront dévoués à la vie, à la mort. » Le Père se dépense à tout propos, ne négligeant aucun détail, étonnant par sa prodigieuse activité l’évêque de Rodez, Mgr Bourret1, le futur cardinal, et la cohorte de ses six cent cinquante prêtres.

Monseigneur a fait appel au P. Marie-Antoine arrivé une semaine plutôt préparer Rodez à ce grand pèlerinage destiné aux hommes, et venant de toutes les parties du diocèse. Le premier du genre et la plus nombreuse, que va connaître la cité mariale. Huit jours durant, la vaste nef de la cathédrale de Rodez s’est remplie d’une foule avide d’entendre les prédications du célèbre missionnaire, celui qu’on appelle le nouveau Pierre l’Ermite, qui entraîne jusqu’à Marie ces flots de pèlerins du Rouergue. Il faut sept trains pour les transporter tous, prêtres (650), et laïques (4150). Ils s'ébranlent le 14 septembre, des gares fixées d'avance. Plusieurs pèlerins ont dû parcourir pendant la nuit et le jour qui ont précédé, jusqu’à 80 kilomètres à pied pour atteindre la gare la plus proche. "On compte même, précise l'abbé Alazard dans son "Mémorial du Pèlerinage" 2, deux victimes restées sur la route, M. Agret, pèlerin de Millau, écrasé par une voiture à Ségur, et M. Carrière, de Saint-Affrique, frappé à Tessonnières d'une attaque d'apoplexie foudroyante. Ces deux braves chrétiens s'étaient munis le matin même du pain des forts. ils sont allés terminer au ciel le pèlerinage de leur vie." Douze cents aveyronnaises viendront par les trains ordinaires, afin d'assister aux manifestations des hommes. Parmi eux, un député, quatre membres du Conseil Général, le président du Tribunal civil de Rodez, le vice-président, un juge, le vice-président du Tribunal civil de Montpellier d'origine aveyronnaise, des élus municipaux...


La veille du départ, le 13 septembre 1874 au soir, un dimanche,
tous les clochers de l’Aveyron ont sonné à la fois. De chaque village, les caravanes se sont ébranlés. "Le calme et le silence d'une belle nuit d'automne magnifiquement étoilée, décrit l'abbé Alazard, rédacteur de la Revue Religieuse de Rodez et de Mende, qui y était, n'étaient interrompus que par des élans de joie et de bonheur:

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                     Nous accourons à travers les campagne,

Prier au lieu de l'apparition.

                           Vierge Marie, aux pieds de ces montagnes,

        Voici, voici les fils de l'Aveyron."

       

Oui, les voici arrivés. Ils sont à Lourdes. Le P. Marie-Antoine dès la sortie de la gare, grimpé sur on en sait quoi, a rappelé le sens de leur pèlerinage, la Mère aimante entre toutes les mères qui les attend, leur a fait les dernières recommandations. Ils débouchent maintenant, « bataillon poudreux et incandescent », dans la plaine que domine Lourdes.

Et puis, après le déjeuner, la première procession s’organise dans une vaste prairie. Les prêtres en chape, les pénitents avec leur habit. Dans le cortège, interminable, la statue d’argent de Notre-Dame de Rodez et une multitude de croix, de bannières paroissiales. Un député en porte une. Le P. Marie-Antoine est partout, animant son monde par des chants et des prières. Quand ils sont arrivés à la Grotte, Mgr Bourret  offre à la Vierge les présents du Rouergue : des fleurs, un calice, et deux agneaux blancs enrubannés conduits par des bergers en costume du pays.

Maintenant les pèlerins, en masse compacte devant la grotte et sur les allées, attendent la procession aux flambeaux. Le repas du soir a été vite avalé. Que vont-ils faire, à cette heure-ci ? Les cent pas dans les allées ? Il y a mieux, et le Père a vite trouvé, Monseigneur lui ayant aussitôt donné son accord. Les faisant se rassembler, il leur a demandé de remonter à la ville et de se procurer cierges et bougies. Les stocks ont été enlevés d’assaut sous les yeux éberlués mais ravis des marchands.


Et les voilà tous, prêts, foule immense, serrée de visages tendus, tachetée d’ombres et de lumières.
Le Capucin, barbe et bure au vent, soulevé d’enthousiasme, se hisse jusque sur le toit de la piscine2.
: "Portez votre cierge comme une épée. Arme merveilleuse et toujours victorieuse, puisque la lumière que répand ce cierge au milieu des ténèbres est le symbole de la Foi qui illumine toute chose, et que dans la Foi est la victoire sur le monde et le mal. La flamme du cierge qui s'élève toujours vers els cieux, est le symbole de l'Espérance, fille de la Foi et qui ne trompe jamais. En éclairant et en élevant la flamme vers le ciel, le cierge brûle, et c'est cette chaleur brûlante qui est le symbole de la Charité, de l'amour divin. Mais, en brûlant, le cierge se consume.C'est le dernier est le magnifique symbole de la Pénitence, laquelle est de l'essence de tout pèlerinage, et qui fait le vrai Pèlerin, autant que la foi, l'espérance et la charité."

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« Nous assistions à une scène renouvelée des plus grands jours du Moyen Age »
, écrit le lendemain un journal belge. Quelle grandeur et quelle vie dans ce moine ! Le geste est sublime. Leur parler, partager ce moment d’émotion intense porté par Marie comme une vaste offrande à son divin Fils. Le P. Marie-Antoine achevait: « Voici l’heure de notre procession aux flambeaux. Le prophète ne dit-il pas : le jour l’annoncera au jour, et la nuit à la nuit ? La louange de Marie par ses enfants n’aura jamais de trêve, ici, à Lourdes ! Les étoiles ont allumé leurs feux et entonné leurs harmonies au firmament de Dieu. Et vous, pèlerins du Rouergue, de Belgique, de Lille et d’ailleurs, vous étendez un firmament au pied de Marie Immaculée ; les flambeaux scintillent en vos mains ainsi que les astres, et ils disent les cantiques du soir. Vous avez prié à la Grotte de grandes prières tonnantes comme les torrents de nos montagnes, vous avez entendu les paroles ardentes de votre évêque, et vos yeux ont laissé couler des larmes. »


Les éclats de sa voix, son souffle, courent jusqu’aux derniers rangs des pèlerins déjà électrisés
. Une voix d’une extraordinaire puissance, profonde, irrésistible, éblouissante parce qu’éblouie, émouvante parce qu’émue. Une spontanéité à l’accent du terroir qui va droit au cœur de chacun, quelles que soient son origine ou sa condition. Et puis vient, -le ton est aussi ferme, la parole douce, entraînante, naturelle- l’enseignement, clair, précis : une apologie de la lumière, de son symbolisme, comme jamais, écriront les observateurs, on n’en avait entendu. « La flamme symbole de la foi, symbole de l’espérance fille de la foi, et sa chaleur brûlante, symbole de la charité, de l’amour de Dieu. Mais en brûlant, voyez, votre cierge se consume. C’est le dernier et magnifique symbole de la pénitence, la pénitence, l’humilité de la pénitence, qui sont l’essence même de tout pèlerinage. Nous sommes faits pour la lumière comme nous sommes faits pour Dieu, et la lumière est comme le reflet de Sa présence parmi nous, en nous. De même que l’oiseau est fait pour voler, nous dit Saint Augustin, et le poisson pour nager, ainsi l’homme est fait pour croire, espérer et aimer. » Il achève, tend les mains, uni à chacun, d’une seule voix, la sienne, fondue dans celle de la foule des pèlerins unis par la parole de Dieu : les acclamations fusent, à pleins poumons. « - A la Vierge ! Vive la Vierge ! Au Sacré-Cœur de Jésus ! Vive le Sacré-Cœur de Jésus ! Au pape Pie IX, Pontife et Roi ! Vive le pape Pie IX ! A toutes les gloires de la chrétienté, louanges et honneur ! Louanges et honneur ! »

Et elles durent. L’évêque s’inquiète pour la procession aux flambeaux qui n’a pas commencé. Attendez, dit un prêtre, je vais essayer un moyen. Et de toutes ses forces, au milieu de la foule, il pousse ce cri qui trouve un écho formidable : « Vive le P. Marie-Antoine ! » Le bon Capucin, que rien ne déconcerte, en reste sans voix. L’évêque, riant de bon cœur, n’a alors qu’un signe à faire pour rallier ses pèlerins. Les femmes du Rouergue, plus de mille cinq cents, se sont jointes aux hommes, et cette armée a trouvé au pied de l’Immaculée les pèlerinages venus de Belgique et de Lille. Autant de lumières qui bougent et qui chantent, selon le mot du Père, et qui finissent par attirer comme un aimant une grande partie de la population lourdaise qui se joint peu à  peu à la procession.

Le Bien public de Gand raconte la scène improvisée de la première rencontre entre Rouergats et Belges, la veille, à Tarbes: "Nous sommes à Tarbes. Un train est en gare. Il contient des prêtres et des laïcs portant tous la croix de saint Pierre. Leurs regards sont dirigés vers nous qui portons le même signe et la même devise: Christo Domino servire. Qui êtes-vous? Belgique, nous répondons. À ce nom, les acclamations retentissent, dominées par les cris unanimes de Vice Pie IX! Les mains s'entrelacent, et les plus douces effusions sont prodiguées dans cette fortuite rencontre, entre les hommes séparés par la distance et par la nationalité, mais unis pas les sentiments d'une même foi et les mêmes espérances."


C’est ainsi qu’a lieu dans la cité mariale, la première, la plus immense procession aux flambeaux jamais vue
. Quant aux pèlerinages d’hommes ainsi inaugurés aussi, le pape vingt ans plus tard, en 1894, les encouragera : « Formez des troupes fortes et assurées qui, au moment nécessaire, seront de vaillants apôtres et des soldats de la bonne cause. Faites des apôtres du Sacré-Cœur de Jésus ». Désormais, il n’y aura plus de pèlerinage à Lourdes sans cette procession nocturne. Ceux qui en ont contemplé le spectacle une seule fois, n’en perdent plus le souvenir



                        LES JOURNAUX EN ONT PARLÉ                

 Le Journal de Lourdes:
"Je regardais de loin, ils venaient toujours, par centaines, par milliers, et les bannières et les chants montaient. Au pied de la montagne, arrivent enfin les costumes que je ne discernais pas dans le lointain. Voici les temps anciens dans ses restes brillants et sacrés. Nous ne savons plus guère que les noms en nos pays, et les souvenirs subsistent à peine. Mais voici bien les Pénitents bleus, les Pénitents noirs, les Pénitents blancs plus nombreux que les autres, avec leurs sacs, ou plutôt leur étroite robe à grand effet dans les cérémonies religieuses, avec leurs masses dorées ornées d'un des bons saints, et le grand crucifix porté par un pénitent qui marche nu-pieds."


Les Annales de Lourdes:
"
N'essayons pas de peindre la marche des pèlerins de l'Aveyron. La réunion devait se faire sur un plateau de la montagne du Rosaire. Que le lecteur se suppose sur ce flanc élevé, au moment où la tête de la procession a déjà atteint l'esplanade dont l'autel et le présence de l'Eucharistie faisaient une basilique aérienne. Qu'il regarde vers la ville. Tout le chemin est plein d'hommes, ne porte que des hommes et des bannières. Ça et là, des groupes pressés sembles autant de sources d'où jaillissent les chants.
Qu'il regarde encore. Une heure et demi durant, la voie reste pleine. Les Pénitents noirs montent enfin, puis les Pénitents bleus, ensuite les Pénitents blancs, puis des enfants de chœur nombreux. Une multitude d'ecclésiastiques blanchit de ses surplis une longue étendue du chemin. Beaucoup de prêtres sont vêtus de chapes. L'évêque achève, avec son beau cortège, la majesté de cette grande marche vers Notre-Dame."

Le Bien public de Gand: " Le soir, procession aux flambeaux.

On se réunit à la grotte, Français et Belges confondus. Les cierges sont allumés. Il y a là 6 à 7 mille pèlerins, bientôt, rejoints par le pèlerinage de Lille, que le train de 8 heures amène avec Mgr l’archevêque de Cambrai.

Le spectacle est indescriptible. Un Père franciscain (le P. Marie-Antoine) monte sur la plate-forme du petit bâtiment situé près de la grotte où se trouvent les piscines. Il porte un flambeau à la main, sa parole est de feu. Il exhorte à la prière et à la pénitence; la foule l’écoute avec le plus respectueux silence. Il demande des prières pour le Pape, pour la France, pour la Belgique, pour les pécheurs, pour les malades. Il prie à haute voix et la foule répète sa prière. Il demande des acclamations et la foule acclame le Souverain-Pontife Pie IX, la France, la Belgique.

Trois fois il répète : Gloire à Marie Immaculée! et le peuple répond : Gloire à Marie Immaculée! Jamais, non jamais, je n’ai vu rien de comparable à ce spectacle.

Mgr l’évêque de Rodez donne le signal du départ : La foule se déroule alors sur les flancs de la montagne; c’est un ruban de feu qui monte en serpentant, qui tourne autour de la basilique pour la ceindre d’une couronne de lumière et qui se prolonge sur le calvaire élevé, sur un des contreforts des Pyrénées. Tandis qu’il y a encore près de la grotte une masse considérable qui attend son tour pour monter vers la basilique. Les voix répètent à l’infini l’Ave maris Stella, ou le Magnificat, c’est le triomphe de Marie. On n’est plus sur la terre, disait à nos côtés un pieux ecclésiastique, et vraiment, c’est comme un enivrement sacré qui saisit l’âme et la met hors d’elle-même. c’est comme le ciel sur la terre.

Heureux ceux qui ont été témoins de cette fête sublime ! C’est pour eux, un souvenir délicieux jusqu’à la fin de leur vie."

Le Journal de Lourdes:
"
Je n'ai rien entendu de grand et de puissant à cette place, comme ces ouragans de chant sacré. La procession montait, montait toujours, et longtemps la foule resta vaste et compacte au pied de la grotte. Il semblait qu’elle ne put s’épuiser. »

 

[1] Mgr Joseph Bourret (1827-1896), formé dans la Congrégation de l'Oratoire de saint Philippe Néri, a été ordonné prêtre à Paris en 1851, et nommé évêque de Rodez en 1871. Il sera créé cardinal par Léon XIII en 1893.
[2] Abbé L. Alazard, Mémorial du Pèlerinage de quatre mille hommes du Rouergue à Notre-Dame de Lourdes les 14, 15, 16 et 17 septembre 1874, 1874. Réédité en 1990 aux Éditions Lacour, Nimes.

[3] Cette allocution improvisée a été saisie et donnée par la Semaine Religieuse de Rodez, p. 467.

"Rodez la Croix de Mission du P. Marie-Antoine": 3. 1876, le Couronnement de Notre-Dame de Ceignac

 


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