Le Vénérable Père Marie-Antoine de Lavaur, capucin, appelé Le Saint de Toulouse (1825-1907)
  
 
 
 
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a. Ses obsèques

LE DIMANCHE 10 FÉVRIER 1907 À 14 HEURES DU MATIN DANS SA VILLE DE TOULOUSE
LE SAINT DE TOULOUSE S'EN EST ALLÉ
LES OBSÈQUES DU P. MARIE-ANTOINE D'APRÈS SES CONTEMPORAINS
par Jacqueline Baylé

[1]Le dimanche, à partir d’une heure, les voies qui conduisent au couvent des Capucins sont littéralement envahies par une foule considérable désireuse de rendre les derniers devoirs au saint apôtre du Midi. De la Côte-Pavée à la place Saint-Étienne où se situe la cathédrale, la circulation est suspendue même pour les omnibus et les tramways. Au couvent, on doit faire évacuer la chapelle bondée, où seuls les hommes qui ont trouvé place sont admis à rester prier. La prière est devenue ardente, à l’intérieur, dans l’allée, sur les trottoirs extérieurs.

Un peu plus tôt, à l’heure habituelle, une scène touchante s’est déroulée devant la double porte de la chapelle au bout du grand escalier visible aux yeux de tous, avec le F. Rufin pour personnage central. Le F. Rufin, le fidèle, l’unique compagnon d’infortune du Père depuis l’expulsion de la communauté, avec Antoine un vieux tertiaire cocher et homme à tout faire de ce que lui permet son âge, et un autre capucin, le F. Servant, venu en renfort depuis quelques mois auprès des trois vieillards. Le Frère Rufin, tranquillement, sert la soupe aux pauvres qui sont venus tendre leur gamelle, comme, enfin presque, ils le font deux fois par jour. Le vieux moine est visiblement partagé, dans une candeur inaltérable, par deux sentiments, la certitude épanouie de faire la volonté du P. Marie-Antoine, et la confusion contraignante d’être en position décalée par rapport aux nombreux et importants personnages qui montent l’escalier pour aller saluer la dépouille du Père. « Dieu et les pauvres d’abord », a dit le Père. La marmite devant lui et la cuillère à la main, il remplit scrupuleusement les assiettes qu’on lui tend, juste en les pressant un peu.

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À deux heures, l’archiprêtre Xavier Delpech, accompagné du clergé de la cathédrale, vient faire la levée du corps. La récitation des prières liturgiques terminée, les employés des pompes funèbres s’avancent pour transporter le cercueil sur le char de cinquième classe qui attend dehors. Mais spontanément, des volontaires, le marquis Marie-Manuel de Suffren († 1928)[2], un des plus anciens membres de l’Hospitalité de Notre-Dame du Salut à Lourdes élu membre du Conseil en 1891, secrétaire perpétuel de l’Académie des Jeux Floraux, royaliste, directeur administratif de l’Express du Midi et président de son conseil d’administration, Monsieur de Castellane, et d’autres grands noms du Sud-Ouest, se présentent et sollicitent l’honneur de porter le corps sur un brancard. Les religieux acquiescent, ils pensent que leur intention est d’aller déposer le cercueil sur le corbillard en bas de l’escalier. Mais non, ils sont décidés à le porter sur leurs épaules jusqu’à la cathédrale, et ils le reprendront encore pour aller au cimetière. Un bien long parcours, de plus de trois kilomètres. Les institutions, les écoles, les œuvres et les associations religieuses forment une haie d’honneur tout au long de l’allée. Le cortège s’ébranle, le suisse précédant la croix d’argent et les enfants de chœur. Des cloches, quelque part, sonnent les premières vêpres de Notre-Dame de Lourdes, dont on fête ce dimanche l’anniversaire de la première apparition, tandis que le pin parasol et le cyprès au pied de la chapelle balayent le ciel gris sous le vent.
 

Les omnibus, les tramways, les promeneurs car c’est dimanche, tout s’arrête, laisse passer le P. Marie-Antoine, et regarde.[3] Comment évaluer la foule en rangs serrés, celle qui suit, et celle qui attend, le long des rues et des places ? A quarante, à cinquante mille personnes, ont dit les journaux, peut-être soixante mille, avancera l’Express[4]. Il est là, le peuple de Toulouse, de tous âges, de tous milieux. Obstinément là. Jamais comme aujourd’hui, l’on a senti


 Le convoi a descendu la Côte-Pavée et passe le pont du Canal du Midi  

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–rare moment de grâce, indéfinissable, fait de silences intérieurs mystérieux par leur concomitance-  jamais comme aujourd’hui, l’on a senti ce que peut être l’âme de Toulouse, émue, frémissante, capable de rendre en un instant tout l’amour dont un doux religieux a brûlé pour elle.[5]

Sur le passage du cercueil, aucun désordre, ni la plus légère cohue. La foule se signe, les têtes se découvrent, les fronts s’inclinent, les genoux se plient, quelques larmes s’échappent, et une prière ardente, aussi multiple qu’est multiple le cœur de l’homme, rejoint, accompagne, soulève le Saint de Toulouse jusque dans ce paradis d’amour qu’il chantait si bien.




Le convoi va déboucher sur la place Saint-Étienne où se situe la cathédrale. Seuls le clergé et la famille peut se frayer un chemin dans la foule pour entrer dans la cathèdrale

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La place Saint-Etienne a été envahie. Le cortège a peine à se frayer un passage jusqu’à la cathédrale archi bondée: seuls le clergé et la famille peuvent pénétrer à l’intérieur. L’archevêque de Toulouse, Mgr Germain, pâle, amaigri, a quitté la chambre pour ceindre la mitre pontificale et donner la dernière absoute, entouré de ses vicaires généraux. Les curés de la ville en habit de chœur ceint de l’étole noire sont au banc d’œuvre. La cérémonie est très courte. La maîtrise chante le Libera nos et la foule répond jusque sur la place et dans les rues adjacentes, décalée, ondulante, mais continue. Monseigneur l’archevêque donne l’absoute. Les cloches de Saint-Etienne laissent tomber des sons lourds comme des sanglots.

                       
     
Le convoi longe maintenant les quais intérieurs du Canal

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Le cortège se reforme dans le même ordre et se dirige vers le cimetière de Terre-Cabade, en passant par la rue Riguepels, la rue du Rempart Saint-Etienne, le boulevard, la rue Neuve et la place Saint-Aubin, le boulevard Michelet, le pont de la Colombette et l’avenue de Terre-Cabade. La foule est encore plus considérable, une affluence devenue inouïe, avec le même recueillement, la même piété. Ceux qui sont dans le cortège comme ceux qui le voient passer, prient. Sur tout le parcours, les Ave Maria succèdent aux Pater. Beaucoup se précipitent, soulèvent le drap mortuaire, pour toucher le coffre de bois où, « dans la sérénité du sommeil des saints, le P. Marie-Antoine goûte le requiem aeternam qu’il a fait tant de fois descendre sur les fronts des mourants. Nous avons vu, écrit Julien de Lagonde, rédacteur-en-chef de l’Express du Midi après avoir été journaliste au Nouvelliste de la Sarthe, des cohues énormes rouler, avec des musiques, des gymnastes, des uniformes, des couronnes, des Sociétés politiques, dans le sillage des chars qui emportaient Thiers, Gambetta, Victor Hugo. Mais ce que nous n’avons pas vu dans ces circonstances, c’est le désintéressement et la spontanéité de l’hommage rendu par tout un peuple à la dépouille d’un homme dont l’unique mérite est d’avoir gardé, d’une manière transcendante, la foi du serment monastique. C’est parce qu’il fut pauvre, parce qu’il fut humble, parce qu’il pratiqua les vertus exquises des saints, que le P. Marie-Antoine, déjà légendaire lui-même, emportait hier avec lui cette population dans les régions de l’au-delà. C’est parce qu’il n’était rien aux yeux du monde, c’est parce qu’il compta pour négligeables toutes les choses humaines qu’il s’est, hier, révélé si puissant. Et alors, y a-t-il donc encore un idéal? Oui, il y a encore un idéal, et le peuple en est affamé.

Grande leçon pour notre siècle que ce triomphe du plus pauvre et du plus humble des Capucins, et grand sujet d’espérance! L’impiété a beau amasser en haut ses brouillards et ses nuages pour cacher la lumière, elle a beau multiplier PMA-Obseques5S.jpgen bas les amas de boue et de fange dans lesquels s’enlisent les âmes, elle a beau abuser de sa force pour essayer de couper le pont mystérieux qui unit la terre au ciel, elle ne parvient pas à étouffer le besoin d’idéal qui tourmente tout homme ici-bas, elle ne fait que le rendre plus impérieux et plus irrésistible. Et quand un saint paraît pour montrer cet idéal réalisé en lui-même, quand au milieu des abaissements de toutes sortes, un apôtre laisse surgir sa haute stature, quand d’un geste énergique, il déchire les voiles et montre dans leur splendeur les belles étoiles que l’on disait éteintes, le peuple, surpris d’abord, finit par admirer. Il écoute docile, il fait un effort sur lui, il se dégage des miasmes dans lesquels il périssait. Que de fois ce spectacle d’un monde relevé, régénéré, converti, s’est renouvelé dans le cours des siècles! Le vie et la mort du P. Marie-Antoine l’ont, une fois de plus, passé sous nos yeux.»

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Le cortège longe maintenant les quais extérieurs, s'approchant du cimetière

Quand le cortège parvient au cimetière, il est juste quatre heures. Plus de cinq mille personnes sont déjà dans les allées conduisant à la sépulture des Capucins. Les portes sont aussitôt fermées pour arrêter le flot qui monte et qui grossit. Mais elles cèdent très vite sous la pression de la foule. L’archiprêtre Delpech, d’une voix entrecoupée par les sanglots, dit les dernières prières. Le P. Laurent, provincial des Frères Mineurs Capucins, improvise un émouvant au revoir : « Vous avez été la lumière pour nous, fils de saint François, et un exemple pour nos frères de cette province. Soyez béni, mon Père. Nous marcherons sur vos traces. Nous travaillerons à vous imiter en parcourant le chemin que vous avez parcouru. Vous nous aiderez du haut du ciel, de vos prières, et Dieu vous écoutera. Nous ferons aimer la vérité, la vertu et la charité. Le peuple immense qui vous entoure en cet instant a fait à vos pieds le serment d’aimer tout ce que vous avez aimé. Il saura être fidèle aux engagements qu’il a pris en ce suprême cœur à cœur. Priez pour nous. Vous prierez pour nous, n’est-ce pas ? »

La foule se retire, profondément bouleversée. A la nuit encore, des centaines de fidèles prient autour du caveau que surmonte maintenant la croix en perles qu’on a dressée.

« On a tout fait pour étouffer dans le cœur du peuple toute notion de surnaturel, continue Julien de Lagonde. Vain effort! Une fois encore, il triomphe sans que rien puisse comprimer son élan. Triomphera-t-il toujours ? Le P. Maire-Antoine avait pour armes une charité naïve et débordante; pour toute philosophie, celle qui découle des mains et des pieds saignants du Crucifié. Il ne pensait d’ailleurs pas que les découvertes de la science eussent jamais réduit le Calvaire à l’état d’hypothèse. Et quant à discuter, avec les savants, sur l’impossibilité des miracles, le P. Marie-Antoine n’y songeait vraiment pas. Il se contentait d’en faire, car c’en est un, je suppose, que de sécher les larmes sur les chemins où l’on pleure, que de ressusciter l’espérance là où tout secours humain se dérobe, que de guérir les cœurs déchirés. Et il s’est trouvé que le jour où ce vieux moine a rendu son dernier soupir, l’âme populaire a frémi et que des milliers d’hommes, de femmes, d’enfants, ont décerné à ce pauvre, à cet humble, à ce vieillard si complètement dénué de tout ce qui vaut ici-bas, nous dit-on, la peine de vivre, des obsèques telles qu’aucun personnage illustre de notre temps n’en a jamais obtenu. Le bon P. Marie-Antoine n’avait rien, lui, qui put forcer l’attention des masses et les entraîner dans les rues de Toulouse, derrière son cercueil, porté à bras comme celui d’un triomphateur. Il n’avait que son froc,  sa cordelière et sa croix de bois. »

À COMBIEN ÉVALUER LA FOULE IMMENSE VENUE DIRE SON ADIEU

À CELUI QUI LES A TANT AIMÉS

L’absoute dans la cathédrale n’a pas de signification. La place Saint-Étienne était « noire de monde. Le cortège à peine à se frayer un passage. La cathédrale est archibondée. Seuls le clergé, les volontaires qui portent et accompagnent le cercueil, et la famille, peuvent pénétrer à l’intérieur.  (P. Ernest-Marie de Beaulieu, 1908 p. 673) Le service funèbre était terminé quand les derniers rangs du cortège arrivaient à peine sur la place » (L’Express du 9 février 1907)  

Il est évidemment difficile d’évaluer le nombre de ceux qui étaient dans le cortège et ceux qui le regardaient passer, serrés sur les trottoirs tout au long du parcours, qui fait près de 3 km., du couvent à la cathédrale, de la cathédrale au cimetière de Terre-Cabade.

Il nous reste à nous en tenir aux chiffres de ceux qui étaient présents.

Son neveu, l’abbé Joseph Périlié, généralement plutôt modéré dans ses propos écrit dans sa « Vie populaire du P. Marie-Antoine », paru l’année même de la mort du Père, p. 237 : « On a évalué à cinquante mille le nombre de personnes qui ont fait cette splendide manifestation. »

Son biographe, le P. Ernest-Marie de Beaulieu, donne le même chiffre dans toutes ses éditions, depuis 1908 p. 672 « À combien peut-on évaluer cette foule ? À quarante, à cinquante mille personnes ? Il y a des foules qui ne se dénombrent pas. Celle-ci échappe à toute évaluation. C’est tout le peuple de Toulouse… », jusqu’à une petite édition posthume en 1946 p. 43 : « Cinquante mille personne étaient présentes… »

Les journaux de l’époque en rajouterait plutôt :

            -Le Correspondant, journal national, sous la plume d’un journaliste-écrivain très connu, Maurice Talmeyr, en titrant en 1911 « La nouvelle légende dorée » : « Le jour de ses obsèques, plus de cinquante mille cœurs battaient de tristesse et de douleur sur la longue route du faubourg suivie par son cercueil. »

            -L’Express, au lendemain des obsèques, sous la plume de son rédacteur-en-chef, Julien de Lagonde : « Cinquante ou soixante mille personnes ont stationné sur les trottoirs, voulant assister au passage du convoi. »

Convoi que « La semaine religieuse d’Albi, dans son premier numéro qui suit, évalue à lui seul à : «Des volontaires ont porté le cercueil sur leurs épaules jusqu’au cimetière. Le cortège était formé par quatre ou cinq mille personnes, qui défilaient silencieusement entre une double haie d’assistants (sur, nous l'avons vu, 3 km)  qui n’étaient pas là seulement en curieux mais en admirateurs du pauvre moine que l’on vénère déjà comme un saint. » 

 

[1] P. Ernest-Marie de Beaulieu, 1908, 671-677.

[2] La Dépêche, 14 janv. 1928.- Archives Académie des Jeux Floraux.

[3] Abbé Joseph Périlié, 237.

[4] L’Express du Midi, 11 février 1907.

[5] Cécile Marie,  P. Marie-Antoine – le Saint de Toulouse, Dépêche du Midi, 19 mars 1967.


Catégorie : - Le Père Marie-Antoine de Lavaur, Capucin
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Réactions à cet article

Réaction n°1 

par Rolande_SascoTillard le 07/03/2024 05:12

Bonjour, 

J'ai en ma possesion un Fragment du Cerceuil du Serviteur de Dieu le P.MARIE-ANTOINE de Lavaur, transmis de  génération en génération et ensuite par ma mère.

Petite pièce d'un fin tissu entouré d une fine dentelle,  enveloppée dans une petite enveloppe d un papier aussi fin.

J'aimerais en savoir  la provenance ..De mon grand-père Emile Sasco (sur le Web,) ou mon cousin Théologien P.Roger Tillard sur leWeb aussi, tous les 2 décédés.

J'ai 84 ans et aimerais le transmettre àmes enfants avec plus de détails si possible.

Merci de me lire.

Rolande Tillard (Sasco)