Le Vénérable Père Marie-Antoine de Lavaur, capucin, appelé Le Saint de Toulouse (1825-1907)
  
 
 
 
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Rodez: la Croix de Mission du Père Marie-Antoine. 3. 1876: le couronnement de Notre-Dame de Ceignac

RODEZ: LA CROIX DE MISSION DU P. MARIE-ANTOINE

3. LE COURONNEMENT DE NOTRE-DAME DE CEIGNAC - 1876


d'après le P. Ernest-Marie de Beaulieu ("Le Saint de Toulouse", édition de 1928)
 

Le couronnement de Notre-Dame de Lourdes a eu lieu le 3 juillet 1876 par le nonce apostolique de Paris. « Je viens, écrira notre missionnaire, des fêtes du couronnement, je les ai vues du fond d’un confessionnal, mais j’y étais et c’était le ciel.1» Le mois suivant, le P. Marie-Antoine est à Rodez pour un autre couronnement, celui de Notre-Dame de Ceignac. Après l’extraordinaire pèlerinage des hommes de l’Aveyron, il y a deux ans, Mgr Bourret fait appel au missionnaire pour préparer un nouveau triomphe à Marie : le couronnement, au nom du pape, de Notre-Dame de Ceignac cachée, à 12 km, dans les montagnes qui dominent Rodez. L’église du pèlerinage fondé par saint Martial, un apôtre du Rouergue, premier évêque de Limoges au IIIe siècle, sera érigée en basilique par Pie XI en 1936.

Ceignac.jpg                                                                                                                                                                              

C’est au Père jésuite Albert Cros qu’échoit la préparation spirituelle de l’événement. La Providence réserve au capucin une tâche d’une tout autre nature. Un différent enfle dangereusement entre l’évêque et ses ouailles, et est en train de tourner au tragique. Les habitants de Ceignac refusent obstinément, comme une injure faite à leur village, que l’on transporte leur Vierge miraculeuse à Rodez pour son couronnement. « Qu’on vienne la couronner dans notre église, elle y est vénérée depuis des siècles! Ce n’est pas à elle de bouger ! » Mgr Bourret est atterré, il ne s’attendait pas à une telle opposition. Ceignac est d’accès difficile, le village n’a guère d’auberge ni aucun espace couvert en cas de pluie suffisant pour recevoir les pèlerins qu’on attend en foule pour l’exceptionnelle solennité. Il tente de parlementer, mais s’aperçoit vite que ses Rouergats, à la tête dure, ne capituleront pas. Le bruit court qu’il menace de reporter la faveur accordée par Rome à une autre Vierge du diocèse. C’est vrai que l’évêque estime qu’il y va de son autorité, et qu’il les menace d’interdit : le décret en est même déjà rédigé, quand le P. Marie-Antoine arrive, qui conservera le document comme un pieux souvenir de la puissante intervention de Notre-Dame de Ceignac pour calmer les esprits.

C’est donc une situation conflictuelle et de blocage que découvre le P. Marie-Antoine à son arrivée à Rodez. Vite, rétablir la paix. Il s’offre à l’évêque pour négocier cette paix. Après avoir prié et fait prier, en particulier les enfants du catéchisme, le voilà à Ceignac. Comme si de rien était, il prépare les cœurs à la fête, au diapason du P. Cros à Rodez depuis plusieurs semaines. Et il réfléchit avec le curé Mouly, qui n'est dans cette paroisse que depuis deux ans et s'y retirera d'ailleurs en 1907. Un traître pour ses paroissiens parce qu’il a tenté de les gagner à la cause de l’évêque, comment les faire revenir sur leur opposition têtue.


              Notre-Dame de Ceignac couronnée

ND-Ceignac.jpgUn soir, le P. Marie-Antoine monte lentement en chaire, conscient de la gravité du moment. Il s’abandonne à la grâce de l’Esprit, par Marie. Concentré, avec cette foi qui fait voler en éclats tout qui ce qui n’est pas confiance et amour de son Dieu, il se donne, sans partage, à l’instant. Dans un silence qui dure, son regard parcourt les rangs des fidèles, les visages sont tendus, en quête. Et il parle, ccd’abord posément, dans un crescendo qu’il serait bien incapable lui-même de mesurer. Combien touchant est leur amour, admirable leur dévotion à Marie ! Quel spectacle que celui d’un peuple debout pour défendre la Vierge de tous les miracles ! N’est-elle pas, en effet, son trésor le plus précieux ? « Non, vous ne craignez rien ! Ni les luttes ni la mort ! Qui donc osera encore vous disputer la gloire de la posséder ? Elle est bien à vous, la Vierge bénie, personne n’y touchera. Et si quelqu’un l’osait, malheur à lui ! Vous seriez là pour lui répondre, et je serai avec vous ! Oui, ma place, aujourd’hui, est au milieu de ce peuple qui aime Marie, ma Mère ! »

Le P. Marie-Antoine fait cause commune avec eux, et eux se sentent forts, compris, aimés. Il faut s’organiser en escouades, qui, à tour de rôle, porteront la Vierge. Les enfants de Ceignac ne laisseront à personne le soin de porter leur Vierge à Rodez. Ils l’escorteront au long du chemin, ils refusent de la quitter un seul moment. La cérémonie terminée, quand elle aura sur son front le diadème dont le pontife va le ceindre au nom de l’Église, et bien, ils la ramèneront de la même manière. Ensemble, nous en faisons le serment.

Tandis que l’évêque voit se rapprocher dans les plus grandes angoisses la date fatidique du 9 juillet prévue pour les fêtes du couronnement, une étrange procession se met à descendre des hauteurs de Ceignac, puis à remonter le plateau de Rodez. La nouvelle vole jusqu’à la cathédrale. « Ils arrivent, ils ont la Vierge ! » Ils sont rejoints par des groupes de Ruthénois, et finalement toute une foule venue à leur devant afin de ménager à Notre-Dame de Ceignac une ovation triomphale pour son entrée dans la ville. La cérémonie pourra se dérouler en toute solennité à la date prévue. À leur cantique habituel, on  remarquait un couplet nouveau:

                                                     Avec sa croix, avec son saint Rosaire,

                                                    Un pauvre moine est venu les pieds nus.

                                                    Il nous a dit: "Ah! Portez votre Mère,

                                                    Fils de Ceignac!" Et nous sommes venus.


La messe pontificale, prêchée par le P. Cros, est célébrée par le nonce apostolique, et le couronnement a lieu, autour de Mgr Bourret, heureux et soulagé au-delà de toute espérance, du cardinal Guibert, archevêque de Paris, et des évêques d’Albi, de Cahors, de Mende, de Périgueux, de Mgr Bonnet évêque de Viviers, et même du lointain évêque de Constantine, Mgr Robert, qui fut secrétaire de Mgr Guibert, lui-même successeur de Mgr Darboy quand ce dernier a été exécuté par les Communards en 1871. Mgr Guibert, qui fut évêque de Viviers, sera nommé archevêque de Marseille deux ans plus tard, obtenant l’érection en basilique de Notre-Dame de la Garde l’année suivante. « Leurs crosses se fondaient de joie », conclut avec un sourire malicieux le P. Marie-Antoine en en faisant le récit aux Clarisses de Millau sur le chemin du retour. Le missionnaire conservera comme un pieux souvenir de la puissante intervention de Notre-Dame de Ceignac, l'interdit épiscopal déjà prêt en cas de refus de la paroisse rebelle. Mgr Bourret définitivement conquis, reconnaissant, consacrait dès ce jour le grand Capucin comme apôtre de sa ville épiscopale, et le retenait pour une nouvelle mission au Carême suivant.




[1] Abbé Joseph Périlié, p. 187, 188.

 

"Rodez la Croix de Mission du P. Marie-Antoine": 4. La Mission de Carême de 1877, la Croix érigée (suite)



Catégorie : - Gros plans sur sa vie
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